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Poursuite de l’étude de l’effet réserve (campagne 2019)

Aires Marines Protégées

La plupart des pays méditerranéens ont mis en place des aires marines protégées (AMP) dans leurs eaux territoriales comme outils de préservation de la biodiversité. La majorité sont des zones à usages multiples comprenant une ou plusieurs zones intégrales ou des zones partiellement protégées. Dans les zones intégrales, les activités extractives sont totalement interdites et certaines activités récréatives peuvent l’être aussi. Dans les zones partiellement protégées, les activités extractives telles que la pêche artisanale peuvent être autorisées sous certaines conditions.

Un des objectifs des AMP est de préserver la biodiversité, notamment en termes d’abondance et de diversité d’espèces. Cet objectif est généralement atteint dans les AMP intégrales convenablement surveillées en Méditerranée (graphique). Ceci est particulièrement vrai en biomasse en raison d’un plus grand nombre de poissons et surtout une taille des individus (donc un poids) supérieure. A Monaco, les AMP sont également intégralement protégées : l’article O.244-9 du Code de la mer stipule en effet que « toute pêche, quel qu’en soit le genre, est interdite dans les AMP du Larvotto et du tombant des Spélugues ». Dans ce contexte, et afin de garantir cette interdiction, les AMP de Monaco bénéficient d’un très haut niveau de surveillance. Celle-ci est assurée par les Services de l’Etat (Direction de la Sûreté Publique et en particulier la Division de Police Maritime et Aéroportuaire, Direction des Affaires Maritimes) et l’AMPN en sa qualité de gestionnaire des AMP. Bien qu’implantées en milieu urbain, les AMP de Monaco, intégralement protégées et très étroitement surveillées, devraient donc présenter un effet réserve identique à celui observé ailleurs en Méditerranée quand ces deux critères (protection intégrale et surveillance) sont présents.

Afin de vérifier si les AMP de Monaco préservent efficacement les peuplements de poissons, des suivis ont été mis en place depuis 2016 en collaboration avec le laboratoire ECOSEAS (ex ECOMERS) de l’Université Nice Côte d’Azur. Leur objectif est de valider l’hypothèse selon laquelle la biomasse et la densité des peuplements de poissons sont significativement supérieures à l’intérieur de l’AMP du Larvotto qu’à l’extérieur.

Pour ce faire, les données sont recueillies sur des sites offrant des habitats similaires (présence d’herbiers de posidonie ou d’enrochements) entre Menton et Beaulieu-sur-Mer. Il est en effet important de ne pas se limiter à Monaco afin de disposer de sites témoins, non protégés. Les dénombrements sont réalisés en plongée sous-marine à l’aide de comptages visuels le long de transects : pour l’herbier de posidonie 10 transects de 20 mètres de long par 2 mètres de large et pour les enrochements 6 transects de 20 mètres de long par 5 mètres de large. Les comptages sont effectués espèce par espèce en distinguant 3 catégories de taille (petit, moyen, grand) afin de pouvoir calculer la biomasse à partir du nombre d’individus (la densité). La biomasse est un paramètre important à considérer pour apprécier le « poids » écologique d’une espèce, donc son rôle dans le peuplement de poissons. L’analyse de ces paramètres (densité, biomasse, richesse en espèces) peut se faire pour la totalité du peuplement (en réalité toutes les espèces observées en plongée) ou pour un groupe spécifique d’espèces. Il est alors particulièrement intéressant de regarder les prédateurs en bout de chaîne alimentaire (mérou, barracuda par exemple). L’importance en biomasse des prédateurs de haut niveau trophique est un indicateur très clair de l’efficacité d’une zone protégée, reconnu par la communauté scientifique.

Enfin, pour tenir compte de la variabilité naturelle des peuplements de poissons, 2 stations sont considérées dans chacun des sites; pour un habitat donné. Par exemple, pour les enrochements (digues), deux stations sont échantillonnées à l’Ouest de Monaco (digues de Beaulieu-sur-Mer et Saint-Jean-Cap Ferrat), deux à Monaco (digues du Larvotto et du Sporting Est) et enfin deux autres à l’Est de Monaco (digues de Menton 1 et Menton 2). Un effet réserve sera observé si en moyenne les paramètres calculés à Monaco (densité, biomasse ou richesse en espèces) sont supérieurs à ceux mesurés à l’Ouest ou à l’Est, hors zone protégée. Ce protocole d’échantillonnage peut paraître un peu lourd, mais toute étude ne considérant qu’un site par station ou ne prenant pas en compte de stations témoins ne permet pas d’affirmer qu’un effet réserve existe ou pas.

Le suivi de 2019 vient de s’achever et les données sont encore en cours d’analyse. Toutefois, les premiers résultats de 2019 semblent confirmer ce qui a été observé précédemment.; la biomasse est largement plus élevée à Monaco qu’ailleurs en milieu rocheux (les densités sont par contre peu différentes). Ces biomasses élevées à Monaco sont dues à la présence de grands individus, quasi absents ailleurs. En milieu rocheux, les prédateurs de haut niveau trophique sont particulièrement bien représentés à Monaco (22 à 25% de la biomasse du peuplement total) par rapport aux zones non protégées à l’est ou à l’ouest (< 1%). Dans l’herbier de posidonie, les différences sont peu marquées entre Monaco et les autres secteurs, en densité, biomasse et richesse spécifique. Cela est dû à la présence de nombreux prédateurs de haut niveau trophique à Monaco en milieu rocheux qui vont, très probablement, se nourrir sur l’herbier, diminuant ainsi la densité ou la biomasse des peuplements de poissons. Des résultats comparables ont été observés dans d’autres AMP de Méditerranée (Scandola, Tavolara, etc.).

La réserve du Larvotto offre à la fois des abris (digues) et de la nourriture (herbier) aux prédateurs de haut niveau trophique. La réserve fonctionne donc bien et remplit ainsi son rôle. Le maintien de ce fonctionnement (AMP efficace) est donc lié à 3 facteurs : (i) le maintien d’un habitat (digues) non dégradé et complexe, (ii) la présence d’un herbier en bon état, à proximité, fournissant de la nourriture et (iii) le maintien de l’absence de prélèvements par pêche et de la forte surveillance.