Des récifs de nouvelle génération

Six récifs artificiels réalisés avec une imprimante 3D ont été immergés en 2017 dans l’Aire Marine Protégée du Larvotto à 30 mètres de profondeur. Il s’agissait d’une première en Méditerranée et d’une première au niveau mondial par la taille des récifs imprimés.

Ces récifs « nouvelle génération » ont permis de développer des programmes de recherche réunissant une importante communauté scientifique.

Immersion en 2017 d'un des récifs imprimés en 3D dans l'Aire Marine Protégée du Larvotto.

La naissance du projet

En 2010, la Société Boskalis, société néerlandaise d’assistance maritime aux travaux offshore spécialisée dans les travaux de dragage, travaille sur un projet d’implantation de récifs coralliens en Jamaïque. Astrid KRAMER, ingénieur environnement, lance une étude sur les récifs artificiels et découvre un article présentant un inventeur italien, Enrico DINI, qui utilise l’impression 3D pour créer des récifs artificiels avec du sable. L’idée lui vient de réaliser des récifs avec du sable de dragage, un produit naturel plus adapté que le béton habituellement utilisé. Son projet remporte en 2014 le « Challenge de l’innovation » qui permet aux collaborateurs de la Société Boskalis de présenter des idées innovantes. 

Peu de temps après, Son Altesse Sérénissime le Prince Albert II de Monaco en visite officielle aux Pays-Bas, accompagné de S.E.M. Bernard FAUTRIER, alors Vice-Président de la Fondation Prince Albert II de Monaco, rencontre plusieurs industriels dont les représentants de la Société Boskalis qui présentent le concept de récifs artificiels réalisés avec une imprimante 3D. Le caractère innovant de ces récifs permet à Boskalis de mettre en place dès 2015 un projet pilote à Monaco, coordonné par Jamie LESCINSKI, ingénieur en océanographie, en partenariat avec la Fondation Prince Albert II de Monaco et l’AMPN à qui revient le soin de mettre en œuvre ce projet dans l'Aire Marine Protégée du Larvotto.

Un projet, des acteurs

Ce projet multi-acteurs mais aussi multidisciplinaire a regroupé des gestionnaires, des experts en écologie marine, des instituts de recherche, des experts en conception de récifs et en impression 3D. L’initiative a été fortement soutenue par la Fondation Prince Albert II de Monaco qui favorise les programmes innovants et s’implique dans le développement des Aires Marines Protégées de par le monde.

Parmi les différents acteurs :
La Société Boskalis, porteur du projet ; la Société D-Shape, concepteur de l’imprimante 3D ; l’AMPN ; le Professeur Patrice FRANCOUR de l’unité mixte de recherche ECOSEAS, anciennement ECOMERS (Université Côte d’Azur ; CNRS) ; l’unité mixte de recherche BOREA (Muséum national d’Histoire naturelle Paris ; Université Pierre et Marie Curie ; Institut de Recherche pour le Développement ; CNRS ; Université de Caen Normandie ; Université des Antilles) ; PlanBlue, une start-up issue de l'Institut Max-Planck (Brême, Allemagne).
- 2019 : Boskalis, Immersion des Récifs 3D -

Les différentes phases du projet : du design au développement de programmes de recherche

Phase 1 : Choix du design
Grâce à l’aide du Professeur Patrice FRANCOUR, spécialiste des populations de poissons et des récifs artificiels, le design des récifs a été imaginé en concertation avec l'AMPN et d’autres partenaires. Les récifs ont été pensés de manière à reconstituer les habitats spécifiques d'espèces patrimoniales comme les mérous, les poulpes et les langoustes. Le recours à une impression 3D a permis d’envisager un design complexe, proche de celui des habitats naturels, favorisant leur colonisation par différentes espèces.

Le résultat des différentes réunions de concertation entre spécialistes pour définir le choix du design.

Phase 2 : Programme de recherche sur le matériau
La Société Boskalis a lancé un programme de recherche avec les Universités de Eindhoven et de Delft aux Pays-Bas ainsi qu’avec le groupe industriel autrichien RHI afin d’optimiser le matériau utilisé pour l’impression des récifs. Ce matériau, à base de sable de Dolomite additionné de cendre volcanique, devait répondre à plusieurs exigences : être résistant à l’eau, suffisamment solide et compatible avec la technologie de l’impression 3D, n’avoir aucun impact sur le milieu marin, être capable de "sécher" en quelques semaines après l’impression. De nombreux tests de résistance à la pression et à la flexion ont également été effectués afin de garantir la tenue future des récifs en milieu marin.

Phase 3 : Programme de recherche sur le biofilm
Ce programme a été lancé par le Professeur Patrice FRANCOUR (Unité mixte de recherche ECOSEAS) en collaboration avec deux chercheurs, Cédric HUBAS et Dominique LAMY (Unité mixte de recherche BOREA), à travers le travail de Master et de Doctorat de Elisabeth RIERA.
L’objectif de ce programme était de déterminer le lien entre la qualité du biofilm et le substrat en comparant la colonisation sur différents types de substrats (sable de Dolomite, roche naturelle et surtout béton, le produit communément utilisé pour fabriquer les récifs artificiels).
Aucune étude ne s’était intéressée auparavant à comparer le biofilm sur les différents matériaux utilisés pour la construction des récifs, que cela soit d’un point de vue biochimique ou biologique. Ces connaissances sont toutefois indispensables dans le choix de tel ou tel matériau.
Le biofilm est important à étudier. En effet, les micro-organismes comme les bactéries ou les eucaryotes unicellulaires sont les premiers à coloniser un nouveau substrat immergé. Ils sécrètent des substances extracellulaires qui forment une fine couche à la surface du substrat ; l'ensemble, micro-organismes et substances sécrétées, constitue le biofilm. Ce biofilm est nécessaire à la colonisation ultérieure par les spores d'algues et les larves de macro-invertébrés (le macrofouling). Par ailleurs, selon les sécrétions du biofilm pour s’adapter à son substrat, le biofilm peut également piéger des éléments polluants présents dans la colonne d’eau, tels que des métaux lourds ou des hydrocarbures, qui peuvent avoir des conséquences sur l’avenir des communautés de macrofouling. La qualité et la richesse du biofilm constituent donc des éléments déterminants pour la colonisation ultérieure d’un récif artificiel.
Des expérimentations se sont déroulées en 2016 et en 2017, sur 2 sites (AMP du Larvotto et de Roquebrune-Cap-Martin), afin de comparer la colonisation du biofilm et du macrofouling sur des échantillons des 3 substrats (sable de Dolomite, roche naturelle et béton).

Les docteurs Elisabeth RIERA et Emna BEN LAMINE en train de conditionner les plaques des différents matériaux sur lesquels s'est développé le biofilm. 

Phase 4 : Programme de recherche sur l’analyse de la complexité des récifs artificiels
Ce programme a également été lancé par le Professeur Patrice FRANCOUR, en collaboration avec Cédric HUBAS,  Johanna BARTHELEMY (étudiante de Master) et Elisabeth RIERA (doctorante).
Son objectif était de développer une méthode pour mesurer précisément la complexité structurale des récifs artificiels.
En effet, les récifs artificiels doivent présenter une grande complexité pour imiter les caractéristiques des habitats naturels. Afin d'améliorer l'intégration des structures artificielles dans les écosystèmes, une nouvelle méthode quantitative a été mise au point pour évaluer leur complexité, en utilisant des modèles 3D de récifs artificiels.
La méthode utilise six paramètres liés à la complexité géométrique et informationnelle des structures évaluées. Ces paramètres répondent à des besoins écologiques des communautés, en termes de surface et d’espace disponible à différentes échelles, et en termes de diversité et de répartition des micro-habitats disponibles.
Celle-ci permet de classer les récifs artificiels en fonction de leur complexité et peut aider à concevoir des récifs artificiels plus efficaces à l'avenir, tout en fournissant un moyen quantitatif d'analyser la corrélation entre la complexité et la diversité à l'échelle des récifs artificiels. En outre, la méthode peut permettre d'identifier des seuils de complexité spécifiques pour attirer certaines espèces ou atteindre des objectifs écologiques particuliers.
Cette approche a permis de combler une lacune concernant le manque de méthodes quantitatives d'évaluation de la complexité des récifs artificiels. En complément des méthodes d’évaluation de la qualité des matériaux, elle permet de produire des récifs artificiels plus efficaces et intégrés écologiquement.

Les docteurs Alexis PEY et Elisabeth RIERA en train de mesurer la complexité d'un des récifs artificiels de l'AMP du Larvotto.

Suivi de la colonisation des récifs 3D

Suivi des peuplements de poissons :
Afin de caractériser l’évolution des assemblages de poissons installés dans et autour des récifs 3D, deux méthodes complémentaires sont utilisées. 
La première est une méthode conventionnelle de recensement visuel en plongée sous-marine (UVC) qui permet de réaliser un inventaire exhaustif et quantitatif de l’ensemble des poissons présents dans et autour des récifs. Le suivi est réalisé deux fois par an, courant juin et septembre par le bureau d’études THALASSA Marine research.

Le Dr. Alexis PEY de THALASSA Marine Research en train d'effectuer le suivi des peuplements de poissons sur les récifs 3D.

La seconde méthode, complémentaire de la première, repose sur un suivi photographique automatisé. Trois caméras GoPro disposant d’un grand angle et associées à des batteries supplémentaires sont disposées à 1 m d’un récif sur trépieds et laissées au fond de l’eau durant plusieurs heures en programmant la prise d’une photo toutes les 30 secondes. Cela permet de suivre les peuplements de poissons de manière complémentaire aux comptages visuels en plongée. Les poissons les plus craintifs vis-à-vis des plongeurs sous-marins sont mieux pris en compte que par les méthodes classiques. A partir de chaque image enregistrée, les espèces de poissons présentes tout au long de l’enregistrement sont comptées et identifiées afin d’évaluer deux indicateurs écologiques principaux, la densité et la diversité spécifique. Les contraintes techniques inhérentes à ce protocole ne permettent pas l’observation exhaustive des espèces situées à l’intérieur ni derrière le récif. Ces données, bien que partielles, sont compilées dans une base de données afin i) d'identifier les familles et les espèces, ii) de noter les comportements particuliers (nourrissage, passage, refuge, etc.), iii) de définir la densité et la fréquence de colonisation des récifs par espèce. Les individus dont l’espèce n’a pu être définie sont comptabilisés et identifiés comme « indéterminées ». Ce suivi est réalisé deux fois par an, courant juin et septembre, par le bureau d’études THALASSA Marine research.

Schéma expérimental du positionnement des caméras GoPro autour des récifs 3D du Larvotto.


En 2023, les données recueillies ont permis d’identifier 35 espèces de poissons différentes depuis l’immersion des récifs.

Suivi de la colonisation benthique 
Le matériau des récifs 3D a été développé de manière à se rapprocher des propriétés chimiques du milieu marin. Il a donc l’avantage de limiter la présence de métaux lourds, d’adjuvants chimiques et a un pH neutre, permettant ainsi une colonisation plus saine des communautés benthiques.
La colonisation des récifs artificiels par les organismes benthiques participe activement au processus de complexification structurale des nouveaux habitats qu’offrent les récifs. La colonisation par le macrofouling est globalement déterminée par l'environnement biologique local. Les algues sont les premières recrutées, s’ensuit une association plus diverse au bout de plusieurs semaines composée d’hydroïdes, de polychètes serpulides, de balanes et de mollusques. La diversité des communautés benthiques des récifs favorise la reproduction, le recrutement et l’alimentation des espèces mobiles (poissons et grands invertébrés vagiles), contribuant ainsi au bon fonctionnement de leur peuplement. L'équilibre de la communauté suit un processus interactif et dynamique régi par les conditions environnementales et la compétition interspécifique de l'assemblage. Les communautés benthiques peuvent présenter des assemblages différents selon le matériau utilisé pour la construction de récifs artificiels. Il est donc fondamental de connaître le rôle de ce type de matériau dans les processus de colonisation naturelle. L’étude de ce compartiment écologique est donc très importante afin d’avoir une image globale de l’état du réseau trophique au niveau des récifs 3D, considérant qu’ils ont été construits avec un matériau dont les propriétés chimiques se rapprochent de celles du milieu marin.

Deux méthodes ont été employées pour suivre la colonisation benthique :

a) L’utilisation d’une caméra hyperspectrale :
Cette technique a été testée pour la première fois en Méditerranée au mois de juillet 2018 dans le cadre du programme de recherche sur les récifs 3D et renouvelée en 2020. Le programme, initié par le Professeur Patrice FRANCOUR, a été dirigé à la suite de son décès par Francesca ROSSI (Chercheuse CNRS, UMR ECOSEAS) et mené par Elisabeth RIERA (Post-Doctorante).
Cette caméra, développée par PlanBlue, une start-up issue de l'institut Max-Planck de Brême en Allemagne, balaie les fonds marins en utilisant l'imagerie hyperspectrale. L’imagerie hyperspectrale est une technique combinant l’imagerie et la spectroscopie où chaque image est prise pour une bande du spectre électromagnétique allant du visible au proche infrarouge, alors que l’œil humain voit la lumière en trois bandes seulement (rouge, vert et bleu). Chaque espèce ou communauté d’espèces présente une signature spectrale particulière qui peut donc servir à l’identifier ou à mesurer des paramètres liés à sa physiologie. Le développement d’une caméra immergeable permet d’acquérir en plongée sous-marine des images des différents substrats colonisés et d’obtenir rapidement une quantité de données qui dépassent la simple identification des espèces présentes. Cette rapidité et cette facilité de caractérisation sont les principaux atouts de cette caméra. Une fois la validation effectuée (association entre les caractéristiques du spectre de lumière et une espèce ou un groupe d'espèces), il est alors aisé de déterminer la composition et certaines activités physiologiques (telles que la photosynthèse) des espèces du macrofouling.

Utilisation de la caméra hyperspectrale en plongée.
A gauche, le Pr. Patrice FRANCOUR avec le prototype et à droite le Dr. Elisabeth RIERA avec le modèle définitif.

Dans le cas des récifs 3D, le recours à la caméra hyperspectrale, dans le cadre des travaux de recherche du Docteur Elisabeth RIERA, a permis notamment de déterminer que ces récifs « nouvelle génération » sont favorables à l’établissement de communautés plus complexes, plus saines que les récifs « ancienne génération » réalisés en béton et immergés à proximité il y a plus de 45 ans.
- 2018 : Reportage Monaco Info, Evénement : une caméra hyperspectrale immergeable -

b) Le recueil de données en plongée sous-marine :
Le Docteur Alexis PEY du bureau d’études THALASSA Marine research et M. Stéphane JAMME (Aquanaute Expertise), ont effectué entre juin 2021 et septembre 2022, des campagnes photographiques sur les 6 récifs 3D, soit entre 44 et 59 mois après leur immersion. Les espèces macro-benthiques ont été identifiées visuellement à partir des 491 photographies. L’identification des organismes a été réalisée autant que possible jusqu'à l'espèce et leur classification.

Le Dr. Alexis PEY de THALASSA Marine Research en train d'effectuer des mesures de colonisation benthique sur les récifs 3D.

Les analyses révèlent que la complexité intrinsèque des récifs 3D du Larvotto a permis le développement d’un peuplement benthique riche et diversifié (jusqu’à 82 espèces identifiées) caractérisé par la rencontre de diverses biocénoses présentes sur les récifs 3D (biocénose coralligène, grottes semi-obscures et grottes et boyaux à obscurité totale). Les observations faites lors des différentes plongées révèlent une forte colonisation des récifs artificiels qui devrait s’améliorer dans le temps par l’installation de nouvelles espèces déjà présentes sur des roches naturelles ou artificielles du Larvotto. Cette étude fera l’objet d’un suivi à long terme afin d’évaluer dans le temps la dynamique de colonisation des récifs 3D.

Fiche technique des récifs 3D

- Nombre de récifs : 6
À ces 6 récifs, il faut ajouter des petits récifs expérimentaux (un quart de la taille des 6 récifs) qui pourront être utilisés pour diverses expérimentations en milieu naturel par l’UMR ECOSEAS.
- Poids unitaire : 2 500 kilos
- Taille : 1,95 mètres de diamètre / 1,25 mètres de hauteur
- Volume : 1 m3 de matériau par récif / 4 m3 de volume global du récif (sa forme)
- Matériau : Sable de Dolomite + cendres volcaniques

Publications scientifiques associées

"Vers une construction raisonnée d’une nouvelle génération de récifs artificiels : Analyses comparatives des facteurs intrinsèques favorisant leur colonisation de la micro à la macro-échelle" par le Dr. Riera, Elisabeth, 2020
Thèse de doctorat dirigée par P. Francour et C. Hubas
Sciences de l'environnement, Université Côte d'Azur

Riera E, Lamy D, Goulard C, Francour P, Hubas C (2018) Biofilm monitoring as a tool to assess the efficiency of artificial reefs as substrates: toward 3D printed reefs. Ecological Engineering 120:230–237. https://doi.org/10.1016/j.ecoleng.2018.06.005

Riera E, Mauroy M, Francour P, Hubas C (2023) Unleashing The Potential Of Artificial Reefs Design: A Purpose-Driven Evaluation Of Structural Complexity. Methods in Ecology and Evolution (Manuscript ID MEE-23-11-676)

Riera E, Hubas C, Ungermann M, Rigot G, Pey A, Francour P, Rossi F (2023) Artificial reef effectiveness changes among types as revealed by underwater hyperspectral imagery. Restoration Ecology 31:8. https://doi.org/10.1111/rec.1397